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Voyage plongée à Kiritimati

Je suis à Kiritimati, le plus grand atoll du monde et peut-être le plus ancien, coincé entre lagon et océan. L’horizon est partout. Cette ancienne île Christmas, appartient à la république des Kiribati (33 îles réparties entre îles Gilbert, îles Phoenix et îles de la Ligne) dont la capitale est Tarawa-Sud dans l’archipel des îles Gilbert, à 3300 km d’ici (4 heures de vol). Kiritimati est située dans l’archipel des îles de la Ligne, au nord-ouest des Marquises, à 187 km au nord de l’Equateur...
Au départ du chef-lieu London, nous mettons trois heures en « Pick-up » pour rejoindre le village abandonné de Paris, de l’autre côté de la passe « la Manche »… Les missionnaires entre les deux guerres, dont le père Emmanuel Rougier, ont ici reconstruit l’Europe. Les trois autres villages ont reçu le nom de Tabakea, Banana et Poland, ce dernier très isolé en raison de son isolement, sans doute pour faire bonne mesure car le directeur de la plus grande plantation de cocotiers (800 000) était originaire de Pologne.
Aujourd’hui, les requins sont en fête. A moins qu’ils n’aient faim. Tandis qu’une volée de poissons bigarrés s’égayent en tout sens, une foule de petits « pointes noires », dont la plupart mesure moins d’un mètre, s’agitent le long de la passe. Je regarde, fasciné, le manège des squales. L’un d’eux dévore sous mes yeux un poisson que je n’ai même pas eu le temps d’identifier. Une idée me démange, en capturer un.
Je n’y tiens plus et me glisse dans l’eau tiède jusqu’à la taille, sans qu’ils jugent utile d’interrompre leur manège. Une heure durant, je vais ruser, manœuvrer, ourdir, comploter. J’arrive enfin à mes fins. Un petit requin pointe noire, au lieu de rejoindre ses congénères vers le milieu de la passe, choisit de s’échapper en nageant au-dessus d’un très petit fond. Aussitôt, je bondis comme un sauvage pour le plaquer avec délicatesse contre le fond. Il se débat un peu mais d’une main, je lui immobilise la queue tandis que de l’autre, je lui tiens fermement la tête. Il tente encore vainement de me mordre, il résiste puis, très vite, il s’abandonne, vaincu.
Je le sors de l’eau triomphant tel un enfant, pour tenter de le photographier. Je prends bien garde qu’il ne défaille pas en le remettant régulièrement dans l’eau. Je ne tarde par à lui rendre sa liberté en le regardant rejoindre son groupe non loin pour disparaître dans l’eau remuée de la passe. Lui aussi va avoir des histoires à raconter quand il sera vieux…
Plus loin, la houle de l’océan Pacifique, sur ces atolls qui émergent à peine, agit sans ménagement, troublant l’eau et rendant la navigation difficile comme en témoignent les épaves échouées ici ou là. Les Gilbertins ne sont d’ailleurs ni marins, ni plongeurs. Pourtant les fonds regorgent de poissons et de langoustes, comme je peux le vérifier chaque fois que je me balade dans le lagon.
Pour m’accueillir, je suis invité un soir par la communauté catholique et peu de temps après, par la communauté protestante. Les deux soirées se ressemblent : Repas de plusieurs heures, assis en tailleur à même le sol, cochons et légumes à peine cuits à l’étouffée dans un four creusé dans la terre sous un abri type « agora » au centre du village, palabres interminables avec les femmes qui attendent derrière nous pour nous servir. Chacune de mes phrases durant une minute est traduite au chef de cérémonie durant dix minutes et l’inverse est valable aussi. Il y a une dizaine d’hommes en face de moi et tous vont prendre la parole. Certains s’endorment pendant le discours. Pour ma part, la fatigue se fait sentir et mes genoux me supplient.
Un jour, par pur hasard après une discussion avec les locaux, j’apprends qu’il y a une prison sur Kiritimati. Je décide d’aller y faire un tour et, après quelques minutes de marche vers le centre de l’île, je découvre un bâtiment en bêton et tôle ondulée encerclé d’un modeste grillage. Le portail est grand ouvert. A l’extérieur, un homme simplement vêtu d’un short et d’un T-shirt, s’affaire avec une bêche autour de quelques plantations qui jouxtent l’enceinte de la prison. Je lui demande si je peux entrer. Il me répond d’un anglais très correct qu’il doit d’abord demander à un homme qui se trouve à l’intérieur. Je le suis. Là, il s’adresse en gilbertin à un gars qui est allongé sur un lit. Le bonhomme se lève alors et sort du bâtiment en prenant soin de bien fermer la porte derrière lui. C’est le gardien !
Ainsi, je me retrouve en tête à tête avec le seul prisonnier de l’île. Avec beaucoup d’émotion, il me conte son histoire. Il y a quelques années, sur une autre île située à plusieurs centaines de kilomètres d’ici lors d’une rixe un peu arrosée, il a tué un homme. Depuis il est en exil ici, dans l’attente d’une hypothétique libération anticipée pour bonne conduite. Je suis la première personne qui lui a rendu visite depuis son incarcération. J’ai eu l’occasion d’échanger quelques parties d’échecs avec lui et chaque fois, il devait demander l’autorisation au gardien avant de l’accompagner à l’extérieur et de nous enfermer…
Le médecin gilbertin s’est absenté pour plusieurs semaines loin de l’île. Les raisons d’aide humanitaire qui m’amènent sur cette île du bout du bout du monde me donnent donc l’opportunité de réaliser, avec l’aide d’une sage-femme locale, mon premier accouchement et le seul de ma vie d’ailleurs (pas de photos dans cet article !) : Au milieu de la nuit, pendant cinq heures accroupi sur le sol en bêton avec une simple natte tressé comme matelas, la mère sans père, tient son premier enfant endormi contre son sein… O tempora, o mores. En guise de remerciement, la maman décide qu’il portera mon nom mais elle le prononce « Ugly » (« affreux » en anglais) au lieu de « Henri ». Heureusement, ici il est possible de changer de nom au cours de sa vie, je l’espère pour lui…
Agglutinés autour de la porte et de la fenêtre, les gens attendent patiemment que je soigne ou extrait leurs dents, assis sur une chaise, la tête appuyée contre le mur. Commentaires incompréhensibles pour moi, rires et bonne humeur. Simples cadeaux ou dessins d’enfants en partant. Beaucoup d’émotion pour moi.
Autre anecdote : Vers 20.00, on tape à ma porte, je suis seul dans mon bungalow et il fait noir dehors sans aucun bruit. J’ouvre et trouve un petit enfant de 6 ou 8 ans en short. Horreur ! Il a une plaie énorme sous le pied qui le tranche littéralement avec la plante qui pend, pleine de terre et de sang coagulé. Je décide de désinfecter la plaie à l’eau chaude, sans anesthésie vu que les aiguilles que je possède sont trop souples pour pénétrer sa peau déjà durcie par les années à marcher pieds nus. Aucun son ne sort de sa bouche. Aucune larme ne sort de ses yeux. Je saupoudre d’un antibiotique périmé et essaye de lui faire comprendre de revenir le lendemain. L’enfant repart seul dans la nuit, comme il est venu. Je n’ai plus eu de ses nouvelles, même en questionnant les gens du village. Ce doute m’habite encore aujourd’hui…
Au moment que quitter l’île, qu’on peut rejoindre par avion au départ d’Honolulu aux îles Hawaï (à 2 131 km au nord et 3 heures de vol) ou depuis les Fidji et Brisbane, j’ai tout de même le regret de ne pas être resté plus longtemps afin de mieux explorer le lagon qui se fragmente en un réseau compliqué de multiples mares, au milieu d’une végétation rase et peuplée d’une multitude d’oiseaux. Mais surtout, je conserve le souvenir d’instants magiques, irréels, celui des cocotiers qui chantent…
Au lever et au coucher de soleil, des jeunes hommes grimpent au sommet des arbres pour en recueillir la sève dans des calebasses. Là, ils ne peuvent s’empêcher de chanter, de siffler des mélodies improvisées qui, d’arbre en arbre, gagnent toute l’île avant que le vent ne les emporte.
Vers d’autres mondes.
Henri ESKENAZI
Au départ du chef-lieu London, nous mettons trois heures en « Pick-up » pour rejoindre le village abandonné de Paris, de l’autre côté de la passe « la Manche »… Les missionnaires entre les deux guerres, dont le père Emmanuel Rougier, ont ici reconstruit l’Europe. Les trois autres villages ont reçu le nom de Tabakea, Banana et Poland, ce dernier très isolé en raison de son isolement, sans doute pour faire bonne mesure car le directeur de la plus grande plantation de cocotiers (800 000) était originaire de Pologne.
Aujourd’hui, les requins sont en fête. A moins qu’ils n’aient faim. Tandis qu’une volée de poissons bigarrés s’égayent en tout sens, une foule de petits « pointes noires », dont la plupart mesure moins d’un mètre, s’agitent le long de la passe. Je regarde, fasciné, le manège des squales. L’un d’eux dévore sous mes yeux un poisson que je n’ai même pas eu le temps d’identifier. Une idée me démange, en capturer un.
Je n’y tiens plus et me glisse dans l’eau tiède jusqu’à la taille, sans qu’ils jugent utile d’interrompre leur manège. Une heure durant, je vais ruser, manœuvrer, ourdir, comploter. J’arrive enfin à mes fins. Un petit requin pointe noire, au lieu de rejoindre ses congénères vers le milieu de la passe, choisit de s’échapper en nageant au-dessus d’un très petit fond. Aussitôt, je bondis comme un sauvage pour le plaquer avec délicatesse contre le fond. Il se débat un peu mais d’une main, je lui immobilise la queue tandis que de l’autre, je lui tiens fermement la tête. Il tente encore vainement de me mordre, il résiste puis, très vite, il s’abandonne, vaincu.
Je le sors de l’eau triomphant tel un enfant, pour tenter de le photographier. Je prends bien garde qu’il ne défaille pas en le remettant régulièrement dans l’eau. Je ne tarde par à lui rendre sa liberté en le regardant rejoindre son groupe non loin pour disparaître dans l’eau remuée de la passe. Lui aussi va avoir des histoires à raconter quand il sera vieux…
Plus loin, la houle de l’océan Pacifique, sur ces atolls qui émergent à peine, agit sans ménagement, troublant l’eau et rendant la navigation difficile comme en témoignent les épaves échouées ici ou là. Les Gilbertins ne sont d’ailleurs ni marins, ni plongeurs. Pourtant les fonds regorgent de poissons et de langoustes, comme je peux le vérifier chaque fois que je me balade dans le lagon.
Pour m’accueillir, je suis invité un soir par la communauté catholique et peu de temps après, par la communauté protestante. Les deux soirées se ressemblent : Repas de plusieurs heures, assis en tailleur à même le sol, cochons et légumes à peine cuits à l’étouffée dans un four creusé dans la terre sous un abri type « agora » au centre du village, palabres interminables avec les femmes qui attendent derrière nous pour nous servir. Chacune de mes phrases durant une minute est traduite au chef de cérémonie durant dix minutes et l’inverse est valable aussi. Il y a une dizaine d’hommes en face de moi et tous vont prendre la parole. Certains s’endorment pendant le discours. Pour ma part, la fatigue se fait sentir et mes genoux me supplient.
Un jour, par pur hasard après une discussion avec les locaux, j’apprends qu’il y a une prison sur Kiritimati. Je décide d’aller y faire un tour et, après quelques minutes de marche vers le centre de l’île, je découvre un bâtiment en bêton et tôle ondulée encerclé d’un modeste grillage. Le portail est grand ouvert. A l’extérieur, un homme simplement vêtu d’un short et d’un T-shirt, s’affaire avec une bêche autour de quelques plantations qui jouxtent l’enceinte de la prison. Je lui demande si je peux entrer. Il me répond d’un anglais très correct qu’il doit d’abord demander à un homme qui se trouve à l’intérieur. Je le suis. Là, il s’adresse en gilbertin à un gars qui est allongé sur un lit. Le bonhomme se lève alors et sort du bâtiment en prenant soin de bien fermer la porte derrière lui. C’est le gardien !
Ainsi, je me retrouve en tête à tête avec le seul prisonnier de l’île. Avec beaucoup d’émotion, il me conte son histoire. Il y a quelques années, sur une autre île située à plusieurs centaines de kilomètres d’ici lors d’une rixe un peu arrosée, il a tué un homme. Depuis il est en exil ici, dans l’attente d’une hypothétique libération anticipée pour bonne conduite. Je suis la première personne qui lui a rendu visite depuis son incarcération. J’ai eu l’occasion d’échanger quelques parties d’échecs avec lui et chaque fois, il devait demander l’autorisation au gardien avant de l’accompagner à l’extérieur et de nous enfermer…
Le médecin gilbertin s’est absenté pour plusieurs semaines loin de l’île. Les raisons d’aide humanitaire qui m’amènent sur cette île du bout du bout du monde me donnent donc l’opportunité de réaliser, avec l’aide d’une sage-femme locale, mon premier accouchement et le seul de ma vie d’ailleurs (pas de photos dans cet article !) : Au milieu de la nuit, pendant cinq heures accroupi sur le sol en bêton avec une simple natte tressé comme matelas, la mère sans père, tient son premier enfant endormi contre son sein… O tempora, o mores. En guise de remerciement, la maman décide qu’il portera mon nom mais elle le prononce « Ugly » (« affreux » en anglais) au lieu de « Henri ». Heureusement, ici il est possible de changer de nom au cours de sa vie, je l’espère pour lui…
Agglutinés autour de la porte et de la fenêtre, les gens attendent patiemment que je soigne ou extrait leurs dents, assis sur une chaise, la tête appuyée contre le mur. Commentaires incompréhensibles pour moi, rires et bonne humeur. Simples cadeaux ou dessins d’enfants en partant. Beaucoup d’émotion pour moi.
Autre anecdote : Vers 20.00, on tape à ma porte, je suis seul dans mon bungalow et il fait noir dehors sans aucun bruit. J’ouvre et trouve un petit enfant de 6 ou 8 ans en short. Horreur ! Il a une plaie énorme sous le pied qui le tranche littéralement avec la plante qui pend, pleine de terre et de sang coagulé. Je décide de désinfecter la plaie à l’eau chaude, sans anesthésie vu que les aiguilles que je possède sont trop souples pour pénétrer sa peau déjà durcie par les années à marcher pieds nus. Aucun son ne sort de sa bouche. Aucune larme ne sort de ses yeux. Je saupoudre d’un antibiotique périmé et essaye de lui faire comprendre de revenir le lendemain. L’enfant repart seul dans la nuit, comme il est venu. Je n’ai plus eu de ses nouvelles, même en questionnant les gens du village. Ce doute m’habite encore aujourd’hui…
Au moment que quitter l’île, qu’on peut rejoindre par avion au départ d’Honolulu aux îles Hawaï (à 2 131 km au nord et 3 heures de vol) ou depuis les Fidji et Brisbane, j’ai tout de même le regret de ne pas être resté plus longtemps afin de mieux explorer le lagon qui se fragmente en un réseau compliqué de multiples mares, au milieu d’une végétation rase et peuplée d’une multitude d’oiseaux. Mais surtout, je conserve le souvenir d’instants magiques, irréels, celui des cocotiers qui chantent…
Au lever et au coucher de soleil, des jeunes hommes grimpent au sommet des arbres pour en recueillir la sève dans des calebasses. Là, ils ne peuvent s’empêcher de chanter, de siffler des mélodies improvisées qui, d’arbre en arbre, gagnent toute l’île avant que le vent ne les emporte.
Vers d’autres mondes.
Henri ESKENAZI
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Droit de reproduction réservé - Copyright texte et photos Henri Eskenazi
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Entre 1957 et 1962, le Royaume-Uni a réalisé 32 explosions nucléaires à Kiritimati. On peut encore y apercevoir quelques vestiges à l’abandon.
Adresse:
Office du tourisme
Ministère du Développement des Ressources Naturelles
Christmas Island (République de Kiribati)
Pacifique Central
INFORMATIONS PRATIQUES
- Coordonnées : 1° 52’ 59’’ N, 157° 24’ 00’’ O
- Situé sur le fuseau horaire UTC+14, c’est le premier endroit habité à commencer un jour civil, à l’intersection de l’équateur et de la ligne de changement de date
- Population : 6 447 habitants
- Surface : 388,4 km2 terrestre et 642 km2 lagons inclus, soit près de 70% de la superficie des terres émergées des Kiribati. Il est cité par Charles Darwin dans son étude sur les coraux
- Altitude : 2 mètres en moyenne
- Climat : Maritime équatorial avec une moyenne de 26,7°C, légère brise fréquente
- Langue : Le gilbertin et l’anglais
- Monnaie : Le dollar australien
- Aéroport international : Cassidy
- Un seul hôtel gouvernemental : Le Capitaine Cook à 6 km environ de l’aéroport, au nord de l’île
- Vols depuis les Fidji et Brisbane pour rejoindre Xmas island
Entre 1957 et 1962, le Royaume-Uni a réalisé 32 explosions nucléaires à Kiritimati. On peut encore y apercevoir quelques vestiges à l’abandon.
Adresse:
Office du tourisme
Ministère du Développement des Ressources Naturelles
Christmas Island (République de Kiribati)
Pacifique Central